Bubulette nous livre un second poème.
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Tu offrais aux regards ta couleur bleu de mer,
Ton ressac incessant ourlé de mousse blanche,
Des étés plein soleil, des poissons palpitants
Ce n’était pas assez nous avons tout razzié.
Ignorant tes colères nous avons joué de toi,
Noircissant tes reflets, t’accablant de déchets
Et nous t’avons tout pris, tout ce que tu donnais
Et beaucoup plus encore…
Tout ce que tu cachais, nous l’avons découvert,
L’avons pris à l’envi :
Ta brise rafraîchissante ridant les sables blancs,
Les galets de tes plages et ton gai clapotis,
Les geysers sur les roches et ton parfum iodé,
Du vol de la frégate vers le soleil couchant
Au piqué du cormoran dans les vagues glacées
Et nous avons sondé, tes vergers, potagers et jardins d’agrément
Où naissent les anémones, concombres et fruits de mer,
Les forêts d’algues brunes, les maquis d’algues vertes
Et sans y réfléchir, sans un haussement d’épaule, le sourcil bien arqué,
Nous les avons laissés, nous les laissons encore rabougrir pour mourir.
Et tandis que s’étiole, autour des lagons bleus, la ceinture de corail,
Que deviennent les stellaires échouées dans tes flots ?
Se sont-elles transformées en ces astéries roses
Que les courants déposent sur les rivages mouillés,
Pour des doigts impatients les palpant sans regrets ?
Non contents de voler les nautiles nacrés et autres porcelaines
Qui dévoilent à l’oreille tous tes petits secrets,
Nous ne nous lassons pas d’arracher à ton sein la chair de tes enfants…
Et si nous le pouvions nous irions jusqu’à prendre
Aux sirènes tentatrices leur chant mélodieux…
Un jour, nous balaierons tes ombres abyssales,
Réputées inviolables abris des Léviathans
Sur lesquelles, on se penche…très, très, intéressantes…
Seront pillées demain !!!
Et malgré tes alarmes et tes vents impétueux
De ta violence extrême, de tes remous plombés,
Tous, nous restons de marbre… Pourquoi donc s’inquiéter ?
Continuons le carnage, gaspillons tes ressources, usons de tes trésors avec rapidité.
Mais tu les aimes ces hommes, ces hommes qui t’aiment aussi.
Ils ne vivent que par toi, ils ne vivent que pour toi.
Ils écoutent ta voix, ta voix qui leur prédit,
Des pêches miraculeuses, des lendemains meilleurs avec retours joyeux.
Ce sont tes vrais marins ceux qui peinent pour survivre,
Et les reconnaissant, tu leur ouvres tes mannes
Car ta générosité engendre leur bonheur.
Mais il y a les autres, toujours inassouvis, dont les besoins immenses
Les poussent à t’abuser.
Ils violent alors tes mannes avec leurs mains avides et leurs yeux bien trop grands
Et leur joie s’éclabousse en mille éclats de rire
Tandis que s’amoncèlent au fond de leurs frigos des tonnes de tes enfants...
Tu te sens offensée, profanée et salie.
D’agneau tu es tigresse…
Tigresse et Vengeresse.
Vengeresse et cruelle.
Tu aiguises tes griffes en les chauffant à blanc
Tu embrumes ton front qui de bleu devient gris.
Tu moutonnes et chaloupes
Puis tu roules des hanches comme une fille galante
Et tu grondes et tu grondes…
Alors les femmes tremblent quand les vents portent à terre
Les poussières de tes pleurs et tes rugissements
Mais toi jouant de ta force, tu grandis ton courroux et tu étends tes pièges,
Tu leur montres tes charmes, ceux qui savent enjôler, dont ta voix envoûtante
Naissant des profondeurs, qui susurre, qui enivre et qui sait bien mentir,
Mais aussi tes murmures et tes reflets de jade qui fatalement les attirent
Et puis qui les entraînent parfois jusqu’aux récifs où ils brisent leurs navires,
Où ils laissent leur vie…
Alors, face à ta force, ils s’abandonnent à toi
Ils se laissent ballotter par tes vagues séductrices,
Ils s’endorment dans tes lames et puis ils s’évanouissent,
Et toi, telle une amante, les emportes à jamais perdus
Dans ton cœur immensément grand…
Ils ont été les proies, lui de son envie, lui de ton Désespoir
Et lui de ta Vengeance...
Quand au petit matin s’apaise ta colère, quand tu soupires encore
Et frissonnes toujours,
Dans ces gémissements qui s’exhalent de tes flots…
S’entendraient… des sanglots.
Pourtant Mer, tu protèges, pourtant Mer, tu nourris,
Même si tu es ce monstre qui montre parfois les dents,
Tu es celle qui se donne, qui donne et donne encore,
Et donnant tant et tant et te pressant toujours,
Pourras-tu subvenir à toutes nos demandes, à cette intensité, à toutes nos négligences ...
Certains prennent conscience qu’il faut nous ressaisir,
Qu’il nous faut arrêter d’épuiser tes réserves,
De cesser de te prendre plus que tu ne peux donner,
Les écouterons-nous ?
Et leur vive inquiétude réveillera t’elle en nous,
Le désir de changer en nous faisant comprendre.
Que nous sommes dans l’erreur, que nous allons te perdre,
Que nous allons tout perdre, que nous allons nous perdre...
N’est-il donc pas trop tard pour l’homme qui veut bien faire ?
Même en s’y mettant tous…y arriverons-nous ?
Est-ce trop te demander de résister encore
Afin que nos enfants connaissent tes vagues bleues,
Le souffle de ta brise voletant leurs cheveux,
En volant un baiser sur leur rire confiant
Il n’y a pas si longtemps, nous louions tes golfes clairs
Dans toutes les langues, sur tous les tons…
On s’extasie encore sur ces nuées d’étoiles
Qui par une nuit d’août s’éteignent dans tes eaux
Et nous leur demandons mille choses agréables
Sans nous soucier de toi en ne pensant qu’à nous.
En y réfléchissant, qu’avons-nous fait pour toi ?
Te donner des prénoms !
Et même s’ils colorent, même si certains pétillent,
Est-ce là une récompense pour celle qui donne tant !...
Coupables ?... Tous, nous le sommes !
Mais quand avons-nous commencé à abuser de tes bienfaits ?
Quand avons-nous commencé, à te négliger, à te fragiliser, à te blesser,
A te souiller, à te défigurer, à t’exploiter, à te détruire,
A profiter de toi toujours et plus encore…jusqu’à t’en faire mourir…
Depuis la nuit des temps ?
Depuis ces temps… dits modernes ?...
Tous dans un bel élan sans nous être consultés,
Nous t’avons condamnée et la sentence est dure :
Et nous abandonnons et sans aucun remords,
Nos carcasses de navires qui ferraillent tes hauts-fonds, qui rouillent tes bas-fonds,
Des mines assassines qui se prennent aux filets,
La banquise rouge sang des bébés mutilés et leurs mères éplorées.
Des barils dangereux, des falaises puantes, des tankers éclatés
Et des estuaires pollués.
Des milliers d’oiseaux morts, des navires abattoirs, des galions lestés d’or…
Une litanie de méfaits que nous ne pourrons jamais clore,
Le voulons-nous ?…Le pouvons-nous ?
Est-ce bien nécessaire ?…
Et petit à petit tu dévoiles au grand jour tous ces secrets terribles…
Ces terribles secrets que l’homme a dispersés au fond de tes entrailles
Qu’aujourd’hui coléreuse tu lui jettes au visage
Mais l’homme, conscient ou pas, allonge encore sa liste avec
Ses ravisseurs d’enfants, les filets dériveurs
Et puis ses étrangleurs, tous les sacs en plastique
Et ses empoisonneurs, tous les produits toxiques,
Et le sillage maudit de ses voyous des mers
Et tous les incidents ou accidents mineurs
Devenant au fil des eaux, catastrophes majeures...
En rien les effets du hasard !!!
Et tandis qu’on lacère, qu’on dépèce
Les lamantins tranquilles et les dauphins rieurs,
D’autres de tes enfants ne laissant que leur nom
Disparaissent à jamais de tes eaux nourricières…
Nous sommes tes prédateurs !!!...
Tandis que les rochers dégoulinent de larmes mazoutées,
Le soleil luit et rit au-dessus de tout ça…
Pendant que le ciel gronde, il connaît tout cela,
S’étouffe le cri des mouettes qui s’engluent dans tout ça...
Mais le ciel pleure aussi car il sait tout cela
Alors, les poissons migrent pour échapper à ça…
Et toi, Mer, tu murmures, tu t’agites, tu t’affoles, t’exaspères,
Tu éclates, tu tempêtes, tu rugis, tu écumes, te déchaînes,
Tu hurles aux quatre vents, tu montres ta puissance,
Tu avertis les hommes… qui ne s’en soucient pas !!!
Et toi rayon de lune pourquoi ce grand silence ?
Si le silence est d’or, toi tu n’es que d’argent,
Alors pourquoi te taire ?
Ne perçois-tu donc rien, ne veux-tu pas le voir !
Si grands sont ton orgueil d’être admiré par l’homme
Et la contemplation de ton reflet dans l’eau
Que tu refuses de croire ?...
Mais, cette indifférence, Toi la Mer, tu l’exploites…
Tu grossis, tu t’installes et puis tu prends tes aises,
Tu reconquiers tes terres, leur redonnes tes couleurs,
Tu savoures ton triomphe, tu t’étales et tu gonfles
Et tu grondes et tu montes et…
Un jour…ta fureur…
Tu nous submergeras.
Aria pour la Terre.
Andrée Bulteau/Bubulette
Respect,
Merci
Rédigé par : Bricolo | mardi 06 décembre 2011 à 21H29
Comme Bricolo, un seul mot me vient "respect".
Continuez de nous enchanter.
Rédigé par : chipie76 | mercredi 07 décembre 2011 à 10H16
CHAPEAU BAS ! MADAME ! je vous envoie toute mon admiration pour ce flot de mots si bien assemblés afin d'en faire un remarquable poème. Gardez bien précieusement toutes vos créations.
Rédigé par : bardin | mercredi 07 décembre 2011 à 21H16
Un requiem pour la mer
Pour un marin , comme mon père
Quel joli choix
J'en reste sans voix.
Encore bravo Bubulette , magnifique!
Rédigé par : la normande | jeudi 08 décembre 2011 à 23H41